jeudi 28 mai 2020

La souffrance au travail : briser le tabou

Une étude récente menée par l’ADP (Automatic Data Processing) révèle que parler de la santé mentale au travail reste un tabou. Environ un tiers (30%) de salariés en Europe auraient encore du mal à en parler.

  Depuis la Déclaration d’Alma-Ata établie à l’issue de la Conférence internationale sur les soins de santé primaire en 1978, les questions de santé et de bien-être au travail sont progressivement entrées dans les préoccupations de nombreux pays. Les entreprises doivent désormais prendre en compte la qualité de vie au travail des salariés. En France par exemple, toute entreprise d’au moins 50 salariés est tenue de mettre sur pied un Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) (remplacé depuis peu par le Comité social et économique) dont la mission première est la prévention et la protection de la santé physique et mentale des travailleurs. Les concepts de risques psycho-sociaux, stress, fatigue, déprime, absentéisme, burnout et suicide, rythment ainsi la recherche dans le domaine de la santé au travail depuis quelques années. Ces concepts reflètent les facettes de la souffrance au travail. Des outils et programmes sont proposés par des chercheurs et des entreprises spécialisées, comme Moodwork, en vue de promouvoir le bien-être au travail. Pourtant, malgré cet intérêt croissant au bien-être psychologique des travailleurs, une étude récente menée par l’ADP sur des salariés en Europe révèle qu’il reste difficile de parler de la santé mentale au travail. 30% de travailleurs seraient mal à l’aise à révéler ces problèmes et 28% de travailleurs pensent que leur employeur ne s’y intéresse pas du tout. Comment peut-on expliquer ce silence ?

Comprendre la difficulté à verbaliser les problèmes de santé mentale au travail

Les raisons de la peur de parler de la souffrance au travail sont à chercher dans les croyances qui entourent la santé mentale en général. Les croyances sont définies comme l’adhésion à des idées et opinions qu’on prend pour vraies alors qu’elles ne peuvent pas être prouvées. Dans un article publié récemment dans la revue Raison présente, Jacques Marescaux explique que les croyances au sujet de la santé mentale n’ont pas beaucoup évolué. Il y persisterait des croyances qui nourrissent chez des personnes qui en souffrent du stress, un sentiment de honte et de culpabilité. Ceux-ci se sentiraient inférieurs aux autres, d’où la peur d’exprimer leur souffrance. Cette étude de Jacques Marescaux permet de comprendre les résistances des travailleurs à parler de leur santé mentale. Par ailleurs, les recherches mettant en exergue le déni du burnout chez un grand nombre de salarié vont dans le sens de cette persistance des croyances qui nourrissent la peur de parler de la santé mentale. En effet, l’étude “ Test my Burn-out”, menée par le Lab RH et la start-up Moodwork, montre par exemple non seulement qu’une proportion importante de travailleurs explique les risques de burnout pour soi et pour autrui par des causes internes incontrôlables, mais aussi ne se rend pas compte de l’importance de ces risques pour soi. Cette erreur fondamentale d’attribution tend à rendre le travailleur unique responsable de sa santé mentale au travail. Toute chose susceptible de justifier sa résistance à en parler, par peur de passer pour une personne incapable, irresponsable, inférieure aux autres et partant, d’avoir à faire face à la stigmatisation dans son environnement de travail. Par erreur fondamentale d’attribution, on entend cette tendance à accorder une importance disproportionnée aux caractéristiques internes d'une personne (caractère, intentions, émotions, connaissances, opinions) au détriment des facteurs externes et situationnels (faits) dans l’explication des évènements. L’erreur fondamentale d’attribution constitue un biais important dans la perception qu’il faudrait déconstruire. Ce qui nécessite de libérer la parole, de communiquer et de donner les moyens aux salariés de pouvoir verbaliser leurs ressentis dans le cadre du travail. Comment cela peut-il être possible concrètement ?

Libérer la parole et former pour déconstruire les croyances     

Pour lutter contre les croyances qui tendent à stigmatiser les personnes souffrant de maladies mentales, Jacques Morescaux propose d’informer et de former.

Dans le cadre du travail, l’information pourrait consister à présenter les facteurs objectifs (et factuels) de la qualité de vie au travail en insistant sur le rôle que doit jouer chaque acteur de l’organisation, de l’employé au bas de l’échelle hiérarchique au top management. L’information doit pouvoir permettre la prise de conscience par les employés de la nécessité de s’exprimer sur leur santé mentale au travail. De parler de leurs craintes et difficultés, de pouvoir se confier aux personnes susceptibles de les aider. La banalisation du discours sur la souffrance  au travail est donc un levier important de promotion du bien-être au travail. Les salariés doivent aussi être formés sur les questions de bien-être et de souffrance au travail.

La formation devrait permettre de donner les outils et les moyens à chaque travailleur, lui permettant de pouvoir détecter les signaux d’alerte, les menaces à sa santé mentale et de prendre des mesures adéquates. La formation doit permettre également de développer la confiance en soi des salariés et leur capacité à s’exprimer sur leur ressenti au travail, de pouvoir identifier et parler de leurs inquiétudes quant à leur santé mentale au travail sans peur d’être jugés. Ceci implique le développement de la confiance interpersonnelle, c’est-à-dire la capacité à faire confiance aux autres acteurs de l’environnement de travail, que ceux-ci soient des supérieurs hiérarchiques ou non. A ce propos, Sami Ullah,Syed Anwer Hasnain, Adeel Khalid et Arslan Aslam montrent, dans un article publié en 2019, que la confiance interpersonnelle tout comme le conflit interpersonnel sont des déterminants du bien-être au travail.  

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